
Un singe peut-il copier Shakespeare ?
Donnez un nombre infini de machines à écrire à un nombre infini de singes et ils finiront par réécrire un œuvre de Shakespeare. C’est le postulat du « paradoxe du singe savant ». Mais est-ce bien vrai ?
Imaginez le tableau : vous avez un nombre infini de singes, qui tapent au hasard sur le clavier d’une infinité de machines à écrire. Quelle est la chance que, à un moment donné, ils enfoncent la combinaison de touches exacte pour la transcription intégrale d’un chef-d’œuvre de William Shakespeare ?
1 chance sur…
C’est du calcul de probabilité, purement théorique bien sûr. Si, par facilité, nous omettons les signes de ponctuation et les majuscules, il reste encore 26 lettres de l’alphabet que les singes devraient combiner dans le bon ordre. Un singe qui tape au hasard sur une machine à écrire spéciale contenant 26 touches pour les 26 lettres a 1 chance sur 26 de taper la première lettre du célèbre « Hamlet ».
Hamlet débute par la phrase « Who’s there? » (« Qui est là ? »). La probabilité que le singe tape un « W » puis un « H » est de 1 sur 262, soit 1 chance sur 676. La probabilité qu’il tape les 20 premières lettres dans l’ordre passe à 1 sur 2620, ce qui correspond plus ou moins à 1 chance sur 20 quadrilliards (20 suivi de 27 zéros). Continuons nos calculs : pour une retranscription fidèle d’Hamlet, un texte qui compte pas moins de 130 000 lettres, on arrive à 1 chance sur 26 130 000. C’est donc pratiquement impossible. Même avec une infinité de singes, ça prendrait un temps inimaginable.
Des milliards d’années-singes
Et si nous passions de la théorie à la pratique ? S’il est difficile de mettre la main sur une infinité de singes, nous pouvons compter sur les singes virtuels de Jesse Anderson, un ingénieur de données. En 2011, il a codé des millions de « singes » et a comparé le charabia qu’ils produisaient avec l’œuvre de Shakespeare. Ils sont finalement parvenus à retranscrire les 38 œuvres de Shakespeare.
Mais soyons honnêtes : Anderson n’est pas étranger à cette réussite... Il n’attendait pas de ses singes virtuels qu’ils tapent une œuvre dans le bon ordre ! Les singes informatiques produisaient des blocs de textes de neuf lettres, qui pouvaient apparaître à n’importe quel endroit de n’importe quelle œuvre de Shakespeare.
La grosse commission
Et si nous mettions de vrais singes aux commandes ? C’est ce qu’ont tenté des chercheurs de l’université de Plymouth. Ils ont placé un clavier dans l’enclos des singes du zoo de Paignton et l’y ont laissé un mois. Les singes se sont révélés terriblement — mais vraiment terriblement — mauvais.
Au total, l’expérience n’a produit que cinq pages de lettres, principalement des « S », et une seule voyelle, le « A ». Qui plus est, le mâle alpha s’est rapidement montré agressif et s’est mis à frapper sur le clavier avec une pierre, après quoi les autres singes ont décidé d’y faire leur « grosse commission ». Aux dires des gardiens, l’expérience n’a eu qu’une faible valeur scientifique, hormis le fait qu’elle a démontré que nous ne sommes pas prêts de découvrir un nouveau Shakespeare chez les primates.